Duplication / Acte I : Angoisse


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Ceci est un récit fictif.

Avant de sortir à l’école, une pensée traversa sa tête « On n’a plus besoin de ces auto-collants. Ils seront tous contents, et je ne serais pas le seul à avoir un magazine complet ». La journée d’avant, il avait montré son magazine tout rempli d’auto-collants à ses amis de classe. Les dinosaures brillaient sous la lumière des yeux émerveillés, et affirmaient qu’il ne mentait pas en disant qu’il avait terminé de remplir le magazine et que chez le libraire on peut trouver tous les autocollants. Le sachet coûtait une fortune, 100 millimes. Mais, avec tous ces auto-collants restants, ils n’avaient plus à galérer.

A sa rentrée de l’école, il trouva un volcan.
-« C’est toi qui a pris les auto-collants?? »
-« Oui, je les ai distribué à mes amis »
-« Amis ??? [Une gifle] Il n’y a pas d’amis dans la vie! [Une gifle] Tu sais à quel point je galère pour ramener l’argent [Une gifle] pour vous acheter ça et vous éduquer??? [Une gifle] Tandis qu’eux [Une gifle] et leurs parents s’en foutent de l’éducation et de la culture [Une gifle]. Et c’est ça ma récompense??? [Une gifle] L’argent de ton père [Une gifle] tu le distribues gratuitement??? [Une gifle] »
Il fallait toujours être meilleur que les autres. Or il se disait depuis le début qu’on ne pouvait être comparé qu’à soi. D’ailleurs, c’est ce qui l’attirait le plus au récit d’Adam et Satan. L’erreur de Satan était de se comparer à autrui. C’est ainsi qu’il s’es déchu tout seul. Longtemps, il ne garda que cela des récits religieux .
Quelques gouttelettes de sang commencèrent à pleuvoir du haut de sa narine droite.
– « Va m’attendre dans ma chambre. Je choisis une branche et viens te donner ta correction. Celle-là je vais l’appeler Tartoura. Tu voulais savoir ce que c’est la Tartoura??? Va dans la chambre et attends-moi, je vais te montrer ce que c’est ».
Deux jours avant, il regardait avec tout le monde la télé, un film sur une chaîne italienne, et ce mot l’avait intrigué.
-« C’est quoi la Tartoura ??? »
Les adultes ont éclaté de rire. Quelques années après, il avait conclu qu’il avait simplement mal entendu le mot « tortura ». Et ce jour là, l’adulte ne manqua pas à son devoir didactique, et l’enfant a fini par apprendre le sens de ce mot.
Assis sur le bord du lit, il se demandait quoi faire, quoi ressentir au juste, quelle expression afficher, ce qu’on lui demandait sans dire. Toute situation a une solution tant que ce n’est pas un accident. C’est ce que lui avait dit l’homme qui l’aida à descendre le jour où il avait grimpé une roche assez haute pour sa petite taille, avant de s’y trouver coincé comme un chat. On voulait le punir, ça il le savait. Il avait fait une erreur, ça aussi il le savait. Mais laquelle au juste.
Armé d’une branche fine d’olivier, il entra dans sa chambre.
– « Je te jure que je ne les ai pas vendus. Je les ai donné, c’est un bon acte ».
– « Comme si ça allait me rendre plus content, enfant pourri »
Au deuxième coup, la branche se cassa.
– « Je te laisse ici. Je ramène le caoutchouc noir, et une autre branche ».

Quinze minutes étaient passées. La montre au mur ne cessait de dessiner la lenteur du temps. Il avait compris qu’il n’y avait rien à faire, qu’il fallait traverser tout le chemin, et que nulle parole ne pouvait arrêter ce qui devait se passer. Quinze minutes de peurs différentes l’avaient conduit à trouver le point positif de la situation : on ne le frappait pas. Il s’est mis à regarder la chambre, le bureau, les bouquins et le tas de magazines pour enfant. Majed, Samer, Bassem, Mickey, Pif, Picsou, Qaws Qouzah, Adnen, Astrapi, Mikado; tout y était. Ses petits compagnons colorés sont là.

Elle entra d’un coup.
– « Il t’a frappé??? »
– « Pas encore »
– « Il est très en colère. Tu aurais dû nier, et dés que tu nies ne recule jamais »
– « Mentir ??? Il me frapperait encore plus »
– « J’aurais pu faire semblant de te croire et te défendre. Ce n’est pas bien de mentir. Sauf si c’est pour se défendre, c’est le prophète qui le dit. Il vient »
Et elle se faufila.

Il n’était pas venu de suite, mais trente minutes après. un ensemble de branches à la main, ainsi qu’un caoutchouc et un long câble d’antenne.
– « Ce n’est pas encore commencé, je vais te laisser attendre. Étends-toi sur le lit. Ce sera une Tartoura inoubliable ».
Il prit les tas de magazines pour enfants, et commença à les jeter, toutes, sur le petit corps, jusqu’à ce qu’il soit totalement couvert.
– « Sors ta tête, tes pieds et tes mains »
L’enfant s’appliqua.
– « Attends-moi ici, je ramène du mazout. Je vais les brûler, et toi avec. J’ai dépensé ma vie à te les acheter, toi et tes sœurs. Vous ne me servez plus à rien, tu es prêt à les donner gratuitement à n’importe qui ».
Sans savoir que sa prophétie allait se réaliser, il enleva la montre avant de sortir.
Enterré sous les papiers pleins de traits et de couleurs, il regardait les dessins qu jaillissaient devant ses yeux entre les différents traits du plafond. Hamdi, le fils du voisin d’en haut, regarde le spectacle par la fenêtre mangeant son énième sandwich au concentré de tomates. L’idée d’offrir un spectacle à Hamdi ne lui avait fait ni chaud ni froid. Il était absorbé par l’idée qu’il pensait à ne pas penser. ça va finir par se terminer. Tout finit par se terminer. Rien ne finit avant de se terminer, c’est de l’ordre des choses, il n’y pouvait rien. Il l’avait déjà appris depuis deux ou trois années. Comment s’appelait déjà cette raclé??? « La dance des zindiens » qu’elle s’appelait, une raclée participative où tout le monde, sauf elle, a participé. Vue en ce moment là, elle lui a paru amusante, et il a pu comprendre ce qui les avait fait rire. Vue de l’extérieur, sa posture même prêtait à rire lors de la « dance des zindiens ». Assis sur une petite chaise, une autre petite chaise en face sur laquelle il avait mis ses pieds, une chaise renversée sur les genoux, pour les coincer et les mains attachées. Tel un malheureux cow-boy attrapés par les Apaches. Et ils dansaient, chacun son bâton à la main, en faisant le cercle, tout en lançant des cris comme dans les western spaghetti que l’adulte adorait tant, distribuant chacun un coup sur les pieds, dans un rythme aléatoire, tout en réservant d’autres surprises, gifles, ou « fausses annonces ». Il lui arrivait de crier sans qu’il y aie des coups. Et ça faisait rire. Il lui arrivait aussi de se secouer, ce qui provoquait le vacarme des chaises qui bougeaient tel un corps de robot et se pressaient plus sur ses genoux ainsi que le spectacle de l’impuissance gestualisée. Regardant cette dance de l’extérieur, il avait fini par comprendre ce qu’il y avait de rigolo là dedans. Son espoir que ça pouvait se terminer avant qu’ils aient décidé de finir, l’expression de cet espoir, sa vanité. Alors qu’il suffisait de patienter, ne rien attendre.


– « J’ai pris congé pour cet aprés-midi, et tu ne vas pas à l’école. Tu n’iras plus jamais à l’école. J’ai ramené le mazout, et je vais prendre le temps de t’éduquer avec les bâtons, jusqu’à ce qu’ils se cassent ».
Etre fidèle à ses paroles est une qualité rare dont les bâtons auraient apprécié l’absence.

La première session avait pour pour règle « le plus tu pleures, le plus je te frappe » et fût interrompue par trois pauses de quelques minutes. Elle glissa à la chambre à chaque pause.
– « Mais dis quelque chose, essaie de l’attendrir »
Hélas ça n’avait pas marché
– « Demande pardon et promets que tu ne le referas plus »
Idem
– « Demande encore pardon »
Il n’aimait pas répéter, mais le script n’était pas si difficile, et de toutes manières il n’avait vraiment rien à dire. Les bâtons, parfaite illustration de l’ampleur des diversités botaniques, avaient fini leurs rôles. L’adulte nageait dans les sueurs, et commençait à prendre faim.
– « Je mange et reviens »

L’odeur du papier l’avait accompagné. Il fait mal partout. Mais les douleurs aux pieds, et aux mains commençaient à se calmer. Le calvaire allait reprendre à zéro, et il n’avait pas les moyens linguistiques pour se dire « Merde ». Ce n’était pas fini, il semble que ça vient juste de commencer.

La deuxième session avait pour règle « pleure ou je te frappe encore plus ». Or, l’exercice de la première session avait épuisé ses cordes vocales et son énergie communicatrice. Bien que les mains et pieds avaient repris à zéro, mais le souvenir de la première session était encore récent. Pour faire plaisir à l’adulte, il dût se restreindre à gémir et imiter les sons de pleurs. Ce qui était encore plus épuisant.
– « Tu mens, tu n’es pas en train de pleurer. Montre moi tes larmes, montre moi tes larmes espèce d’ingrat, attardé, handicapé »
Il avait toujours cru que c’est à cause du tremblement de ses mains et sa maladresse qu’on l’appelait ainsi. Etait-ce le cas ??? Parfois, pris dans les labyrinthes de ses réflexions, il oubliait de gémir, et les coups du caoutchouc se durcissaient. Ce qu’il attendait vraiment, c’était le mazout. Il voulait avoir un flashback, et s’excusait à lui même de ne pas être devenu astronome comme il s’était promis arguant qu’il n’en avait pas eu le temps, et que c’est désolant que les Arabes aient perdu un autre scientifique dans un temps où ils manquent de science. C’est ce qu’il avait compris en lisant les magazines qui le prenaient dans leurs bras.

Contrairement à sa précédente, il n’y avait pas eu de pauses, bien qu’il y aie eu des interruptions à l’intérieur de la chambre, où l’adulte absorbé par son devoir d’éducation s’essuyait les sueurs et répétait
– « Moi, je me casse la vie à travailler et vous acheter de quoi vous cultiver dans ce monde d’ignorants, et toi tu distribues gratuitement aux enfants d’énergumènes. Distribue tes parents alors, hein » avant de reprendre sa trance.

La nuit était tombée depuis un bon bout de temps, et il avait reçu l’ordre de s’allonger sur le ventre. Les magazines ne couvraient plus que la partie allant des fesses aux pieds. Après avoir dîné et repris ses forces, l’éducateur revint, avec le câble. Et ce fût le tour du dos. Aucune règle n’accompagna la troisième session. D’un coup, un simple « Ah » sincère était devenu suffisant comme réponse aux coups. La porte de la chambre était ouverte, et toute la maison, ainsi que ses adultes et enfants, avaient accès au courant sonore provenant de la chambre parentale. C’était une chambre au fond d’un couloir, à l’autre bout se trouvait la porte extérieure.
Allongé sur le dos, il ne pouvait arrêter de réfléchir au mazout. Il n’était pas confortable à l’idée de partir dans cette position, il n’y a rien à voir du côté du lit, et si jamais le flash-back vient il ne trouvera pas d’écran. Il avait pensé utiliser les derniers instants pour se tourner de l’autre côté. Le plafond est un bon écran, se disait-il. Il s’était brûlé assez de fois avant, et n’avait aucun mal avec l’idée du feu.

Elle entra, saisit l’adulte.
– « Lâche-le, ça suffit, il a compris, tu vas le tuer comme ça ».
Le volcan était encore en éruption, il la bouscula criant « Sors » et ferma la porte. Le câble reprit son sifflement, jusqu’au moment où un vacarme s’est fait entendre du dehors. Câble en main, l’adulte sortit voire.
– « Ne me retenez pas, je vous ai dit que je m’en vais. Je m’en vais d’ici et je ne retournerai jamais ». Il sursauta sous les magazines éparpillées et jeta ses yeux depuis la porte de la chambre. Elle sortait de la porte de la maison, avec des pas fermes. Par la même porte, au même moment, l’Angoisse entra, fracassante, et s’est jetée sur lui, lui mordant l’épaule gauche, son long croc atteint son cœur, ses griffes s’enfonçant dans son dos. L’effroi froid le saisit. Elle est vraiment partie. Il commença à pleurer. Le câble, vite revenu, lui lança
– « Tu es content comme ça, hein??? Tu es content comme ça ??? Elle est partie à cause de toi, parce que tu n’es qu’un impoli. » Les coups se suivirent, en musique de fond à ces crocs et griffes qui le faisaient pleurer du fonds des os et de la moelle épinière.

Elle est revenue une heure après. Les coups s’étaient arrêtés trente minutes avant. Trente minutes sans ardeur, comme si ces derniers coups n’étaient pas destinés à être des coups, mais autre chose. L’intimité , l’authenticité et la sincérité des premières sessions n’étaient plus là. Des deux côtés.

– « Ton oncle m’a dit que tu as fini par pleurer »
– « Ce n’est pas vrai, je n’ai fait que gémir, comme tu m’as déjà vu »

Elle est revenue, et il avait appris à mentir. Il s’était dupliqué.